La louve se cache. Elle est discrète, transparente, elle rase les murs. Rien qu'une ombre, un fantôme. Foulant pour la première fois le sol de Beacon Hills il y a environ trois mois. Aujourd'hui, on ne la connait pas plus qu'à son arrivée. Une simple lycéenne qui la jouerait mystérieuse. Solution de simplicité. Une jeune lycan en proie à des instincts qu'elle commence connaître. Une oméga, une vagabonde, une vulnérable. En soi, un danger pour n'importe quel humain. Sa discrétion lui promet moins de complications. Apprendre seule à se maîtriser, maîtriser cette chose au fond de nous, cette bête. Tenter de comprendre pourquoi, comment. C'est un miracle qu'elle y arrive, et qu'elle agisse avec tant de précautions.
Depuis son arrivée, le temps à changer. La douceur de la fin de l'été laisse place à l'hiver glacial. Les températures chutent, les jours se raccourcissent. Quelques oiseaux jasent, une brise glacée arrache petit à petit les feuilles mortes qui résistent encore. Lentement, emmitouflée dans son blouson, la jeune femme avance dans le bois qu'elle commence à connaître. Ses yeux verts observent, contemplent. L'endroit l'apaise. Il devient familier. Chaque détail, elle le reconnait. Comme si elle connaissait ces lieux depuis toujours.
Ici, des odeurs se mélangent. Chaque être à la sienne. L'humain. Les animaux. Les autres. Certaines se démarquent. Semblant être à la fois familières et inconnues. Aussi angoissantes que rassurantes.
Je me mouvais dans l’ombre, à l’abri des regards. Sous ma silhouette animale, je me laissais guider par mes instincts de coyote. La lune brillait doucement dans ce ciel d’un noir d’encre tacheté d’étoiles. J’aimais ce calme, ce silence, cette paix que je ne trouvais que dans les bois. Je laissai mon humanité partir au loin dans un coin de mon esprit et je ne cherchai pas à la récupérer, je voulais donner libre cours à l’animal qui sommeillait en moi. Mes pattes foulaient le sol gelé alors que mon pelage bougeait légèrement face à la brise froide de cette fin de soirée. Un an que je traînais ici, que je vivais dans cette ville. Un an que j’entamais cette même routine. Souvent, j’entendais beaucoup de gens se plaindre de leur quotidien répétitif, ennuyant alors que moi, je trouvais cela fantastique. Ces balades nocturnes dans les bois m’avaient aidé à devenir ce que j’étais aujourd’hui et je ne regrettai pas mon passé d’humain banal et solitaire. Maintenant grâce à cette morsure, je pouvais laisser libre cours à ce que j’étais vraiment.
Je me redressai brusquement, prenant appui sur mes pattes avant alors qu’un lièvre filait devant moi pour retrouver son terrier. Mon ventre criait famine depuis une heure déjà et je saisis l’occasion. Je bondis tel un prédateur féroce sur sa modeste proie, évitant chaque branche, chaque piège naturel qu’étaient ces racines noueuses. Je connaissais cette forêt comme personne et ce n’était pas cette petite boule de poil qui allait facilement me semer. Mes muscles bougeaient sous mon pelage alors que mes crocs se refermèrent à quelques centimètres du flanc de l’animal. Je vis sa petite queue filer dans ce trou de terre et je grognais de mécontentement en me disant que j’étais bon pour aller m’acheter une pizza. J’allais rebrousser chemin quand une odeur des plus particulières affola mes sens. Humain ? Non… Animal ? Non plus. De peur de me faire démasquer par cette étrange présence. Je me cambrais et redevins le modeste humain que j’étais le jour. Je remis mon blouson en place et enfila mes gants alors que je me laissais guider par mon odorat animal. Je grimpai par-dessus un tronc d’arbre avant de parcourir encore quelques mètres.
Au bout de longues minutes, je finis par voir quelque chose d’étrange à quelques mètres de moi. Je fronçai les sourcils et je cachai ma grande silhouette derrière un arbre au tronc bruni. Je me penchai légèrement en avant, mon regard ne lâchant pas cette personne. Sûrement une adolescente qui se baladait. En pleine nuit ? C’est vrai qu’il y avait de quoi se poser des questions. Je m’approchai de nouveau, bien trop curieux à propos de son aura particulière. Elle n’était pas humaine. Je m’arrêtai à quelques pas d’elle, mains dans les poches de mon blouson, mon regard d’un bleu glacial la fixant avec curiosité. J’espérais ne pas l’avoir effrayé, ne voulant pas qu’elle fuit. J’aurais bien prononcé une parole mais je n’avais aucune idée de phrase qui pourrait paraître normale alors que nous étions en pleine nuit dans une forêt. Je contractai mes muscles, en cas d’une éventuelle attaque de sa part.
Le vent souffle encore, apportant avec lui une nouvelle odeur. Différente de toutes les autres et absolument inconnue à la louve. Une chose, ni humaine ni animale, aire dans les parages. La jeune femme se fige, les sens en alertes, prenant en compte les moindres détails. L’intrus se rapproche peu à peu, tentant de se faire discret. Raté.
Une éternité semble s'être écoulée, lorsque, enfin l'inconnu apparaît. D'apparence humaine, presque normal, fixant Nova de ses yeux bleus, sans prononcé le moindre mot. Lui non plus ne sait pas quoi dire. Que peut-on dire à cet instant ? Chacun sait pertinemment que la situation est étrange. Chacun sait que l'autre cache quelque chose. A-t-il conscience de la nature de Nova ?
La femme reste de marbre, fixant le l'inconnu sans ciller. Elle hésite un long moment, laissant place au silence dévorant. Lorsqu'elle le brise, enfin, et demande d'une voix implacable :
" Qu'est-ce que tu es ? "
Étrange question, pour une étrange situation. De toute manière, la louve n'a rien à perdre. Au pire, elle passera pour une folle prise d'une subite envie de promenade nocturne en forêt. Au mieux, l'étranger comprendra.
Le silence avait fini par se faire maître autour de nous et je pouvais sentir la curiosité devenir maîtresse de mon corps. La jeune femme en face de moi ne bougeait pas d'un cil et semblait attendre que je m'exprime. Chose que je ne ferais jamais. Je n'aimais pas me trouver sur un terrain glissant et dévoiler mon identité reviendrait à me mettre à découvert. Je restai droit comme un I mes mains croisées dans le dos. Je m'apprêtais à toutes éventuelles attaques de sa part. Je n’étais pas du genre à faire facilement confiance à quelqu’un et elle ne me semblait pas très amicale. Il fallait dire que tout le monde serait méfiant sur une personne apparaissait comme par magie devant vous.
" Qu'est-ce que tu es ? "
Cette question confirmait bien mes doutes. Elle n’était pas humaine et si elle l’était, elle ne pouvait qu’être une chasseuse. Je me mis aussitôt sur mes gardes, tous sens en alerte. Elle pensait vraiment que j’allais répondre aussi facilement ? Oh que non, je n’allais pas me dévoiler comme ça alors que je n’avais aucune idée de la nature de moins interlocutrice.
« Je peux te poser la même question. »
Je pouvais sentir mes griffes s’enfoncer profondément dans mes paumes. La faim me tiraillait et cet agacement commençait sérieusement à me taper sur les nerfs.
« Amie ou ennemie ? »
Je croisai les bras, penchant légèrement la tête sur le côté alors que j’attendais bien sagement une réponse de sa part. Elle ne pouvait pas me voir comme une menace, je n’avais pas la posture pour. J’étais décontracté et mes battements de cœur étaient calmes. Je ne lui envoyais aucun signal d’éventuel danger. J’étais neutre, c’était à elle de faire son choix. Méchante ou gentilles ? Dangereuse ou pacifiste ?
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