Slip Out || Madi

Elle embrassait un hérisson, littéralement, ses joues lui faisaient un mal de chien lors de chaque petit mouvement, même le plus infime, qu'elle effectuait. Connaissait-il cette incroyable invention que les hommes appelaient rasoir? Savait-il au moins s'entretenir? Parce qu'en plus du fil barbelé qui lui servait de barbe, son haleine était aussi dangereuse que du gaz moutarde. Madison n'allait pas tenir longtemps à ce rythme. Dans un grognement à la limite de l'animal, elle le repoussa sans la moindre délicatesse. D'un regard, la brune lui demanda de dégager, mais ce ne fut pas au goût du hérisson pestilentiel. "Casse-toi sinon je porte plainte pour harcèlement sexuel." Il sembla hésiter, mais se leva en prenant son verre non sans lui adresser une flopée d'insultes.

Madison lâcha un soupir et fit taire le feu intérieur qui consumait son bas ventre. Putain de maladie. Ses bras s'étendirent sur le sofa de piètre qualité alors que son regard s'évadait sur cette foule transpirante qui ne formait qu'un seul être. Jamais elle ne trouverait une proie potable pour la glisser dans son lit. Ses doigts se refermèrent sur sa flasque qu'elle termina d'une traite. Ses paupières s'abattirent sur ses pupilles et l'obscurité profonde vint se colorer pour lui exposer un spectacle tout particulier. Sentir les effets de l'alcool, elle adorait ça. Hélas, elle n'avait plus de quoi s'abreuver.

Un verre, elle prenait un dernier verre puis elle rentrerait. Il n'y avait rien à se mettre sous la dent de toute manière. Elle se leva gracieusement et tira légèrement sur sa combinaison un peu trop courte et au décolleté délicat. Enfin, il n'y avait pas grand chose à regarder à ce niveau là. Un sourire en coin étira ses lèvres lorsqu'une vieille musique fit son apparition dans la salle. Ses cheveux fouettèrent l'air en rythme et son corps ondula au fur et à mesure qu'elle rejoignait le bar.

Elle se figea et ses sourcils se froncèrent quand elle reconnut une silhouette. Ne devait-elle pas être au lycée. Un grognement sourd la prit et ses poings se serrèrent. Elles ne s'étaient pas reparlées depuis le départ de Madison de la meute d'Alexis. Une sage décision que la latina ne semblait pas avoir compris. Mais la brune ne voulait plus y penser, alors elle fit une chose habituelle. Elle vint jouer.

Se rapprochant à pas de loup, elle se pencha vers la demoiselle, cette dernière regardant ailleurs, et lui murmura à l'oreiller. "Je peux voir votre carte d'identité?"

La gentillesse n'était décidément pas une des grandes qualités de la latina, chose qui plaisait étrangement à la panthère. Pas qu'elle aimait se faire frapper dessus, mais les femmes de caractère étaient bien plus intéressantes qu'une coquille vide sur pattes. Mais là n'était point le moment du jeu du chat et de la souris, l'entente ne s'était jamais faite entre les deux jeunes femmes. Madison n'eut le droit qu'à une insulte comme toute réponse et ses yeux s'envolèrent vers le ciel. Tant pis, elle avait essayé de communiquer.

La voilà qui s'en allait telle une reine outrée face à sa cour. La brunette crut pouvoir en profiter pour lui voler son verre, mais le barman était un bon samaritain et le lui rappela à son plus grand regret. Prête à rentrer après s'être prise une baffe verbale majestueuse, Madison fut surprise de la voir devant elle. Quoi encore? Ah bah tiens, c'était encore de sa faute. Le changement? Na. C'était pour les vieux. "Te voir? Pourquoi? Tu me détestes!" Un rire s'échappa de sa gorge alors qu'elle s'approchait d'elle, sa démarche de prédatrice n'échapperait pas à l’œil affûté de la latina.

Son bras s'enroula autour de sa taille tel un serpent prêt à étouffer sa proie. Ses lèvres se posèrent contre son oreille et ses yeux se fermèrent un court instant. Sa maladie lui fit perdre quelques temps ses esprits. Le parfum délicieux de la lycéenne manqua de lui faire perdre le contrôle et le feu dévorant se réveilla dans son bas ventre, lui donnant de désagréables sensations. "On peut se voir dans les toilettes, ou peut-être chez toi si le cœur t'en dit."

La provocation, jamais elle ne s'en lasserait. Habilement, elle recula de quelques pas. "Si tu veux parler." Elle termina sur ce mot en mimant des guillemets. "Attrape moi petite fée des bois." Et dans un rire presque enfantin, elle se noya dans la marée humaine avant de devenir une véritable sirène. Ses hanches ondulaient au rythme des vagues de silhouettes perdues et ses cheveux se laissaient prendre dans les courants de doigts et de bras qui tentaient de les attraper.

Son odeur, Madison ne pouvait l’ignorer, mais elle se devait de continuer son petit jeu. Certes, sa partie animale appelait à une trêve le temps de découvrir cette délicieuse humaine, mais son véritable esprit ne réclamait qu’une chose : La revanche. Son corps se laissait guider par le rythme endiablé de la musique, mais fuyait les individus masculins qui tentaient de l’attraper. Elle était libre, libre de faire ce qu’elle souhaitait. Les conséquences ne lui faisaient plus peur, Madison avait toujours été seule face à un monde qui ne voulait pas de sa présence. Son combat n’avait jamais été aussi prononcé qu’en ce jour. Toujours soumise aux jeux de cartes du destin, elle le prenait par le col pour le noyer dans cette marée humaine.

Soledad l’avait désormais rejointe et ses mains s’étaient posées comme inquisitrice sur ses hanches. Un bref sourire carnassier étira les lèvres de la brunette, son regard prenait cette teinte dorée effrayante. La panthère ne tiendrait plus très longtemps désormais, elle se devait d’agir rapidement avant de perdre le contrôle de la situation. Les paroles prononcées vinrent s’enrouler autour de sa colonne vertébrale telle un serpent créant un frisson à la fois délicieux et désagréable. Elle ne devait pas céder, elle s’y refusait. Le Game Over fut prononcé et toute sensation naissant fut tuée par le réveil de sa vengeance.

Un grognement animal s’échappa de sa gorge et sa main agrippa le poignet de la latina. Sans la moindre délicatesse, elle vint la plaquer contre le mur en face d’elles pour se presser contre elle. Ses crocs étaient désormais visibles tout comme ses iris. « Tu penses que tu vas t’en sortir comme ça ? Tu m’as humilié dans cette forêt, je ne laisserai pas cette erreur se reproduire. » Le souvenir de la gifle était toujours cuisante dans son esprit. « Tu m’as giflé. Tu m’as fait mal et tu comptes t’en sortir comme ça ? »

Madison avait perdu, elle le savait, tout le monde le savait. Peut-être devait-elle consulter un psychologue? Lui raconter à quel point la vie ne lui avait jamais souri et à quel point son père l'avait lâché dans la nature sans l'avertir du moindre danger. Depuis toute jeune, la brunette devait laisser cette panthère dominer pour ne pas se faire tuer dans un accès de rage. Et lorsqu'elle tentait d'en parler avec son paternel, ce dernier lui disait sans cesse que cela faisait parti du processus, qu'elle devait apprendre seule à y faire face. Elle en avait passé des nuits à pleurer sous sa couette en haïssant ce monde trop parfait. Et lentement, une armure s'était forgée autour de son fragile petit corps, et plus jamais elle ne tenta de la dompter.

Soledad était arrivée comme un boulet de canon et avait interrompu l'harmonie qui régnait entre elle et son animal. Si elle n'avait pas pointé le bout de son nez lors de ce combat, peut-être que Madison aurait gardé sa chic vie. Désormais, elle devait sans cesse lutter contre cette faim animale. L'odeur de la fae lui faisait perdre la tête et faisait naître des instincts de domination qu'elle ne s'était jamais connue. Sa panthère voulait se l'approprier, en faire sa chose. Mais l'humaine refusait catégoriquement. Elle voulait reprendre son ancienne vie, loin de cette dangerosité.

Des lèvres se plaquèrent sur les siennes et elle tenta de s'en échapper, mais ce fut trop tard. Sa panthère avait définitivement pris le pouvoir et l'humaine se jetait contre les barreaux de sa cellule. Son cri de désespoir ne pouvait se faire entendre par l'esprit. Ce dernier était endormi, comme bercé par le ronronnement de désir de la panthère. Le goût de ses lèvres fit fondre les dernières barrières qu'elle s'était imposée et ses mains s'emparèrent de ses poignets pour les plaquer contre le mur. Il n'y avait rien de tendre ou d'attentionné.

Le baiser fut rompu et Madison planta ses prunelles désormais bleues dans celle dilatées de la Fae. Des larmes perlés sur ses joues et elle se rendit compte de la douleur horrible dans ses paumes de mains. Ses griffes s'y étaient plantés sans la moindre délicatesse. "Qu'est-ce que tu fais? Qu'est-ce que tu me fais? Regarde ce que tu fais de moi!" Elle se prit la tête dans les mains. "Bordel je suis pas comme ça! Je suis pas comme ça!"

La musique était source d'angoisse pour cette créature qui comprenait peu à peu que son règne touchait à sa fin. Pourtant au lieu de se taire le temps que la situation se calme, elle ne cessait de rugir contre cette humaine qui la poussait au fond du gouffre. Pour la première fois depuis longtemps, Madison avait les pleins pouvoirs, mais elle s'en sentait plus faible encore. Désormais chaque sentiment la frappait avec une force inouïe, il n'y avait plus de remparts pour épargner les dégâts. La proximité de cette marée humaine la mettait particulièrement mal à l'aise et elle ne tarda pas à être prise de haut le cœur.

Heureusement pour elle, Soledad était là pour l'aider à s'échapper de cet endroit désormais étouffant. Son regard restait focalisé sur le sol, ses yeux se fermaient à chaque nouveau rugissement de colère. Il fallait qu'elle prenne son sac rapidement, le remède à tous ses maux se trouvaient à l'intérieur. L'air frais vint caresser son visage. La liberté fut de courte durée puisque déjà les paroles de Soledad venaient l'agresser comme une centaine de petites aiguilles. L'animal était furieux et souhaitait se révolter.

D'un geste de la main, elle la fit reculer pour mieux se laisser glisser contre le mur. Madison attrapa le seringue dans son sac et dégagea son bras droit pour s'injecter le précieux liquide. Ses yeux reprirent leur couleur naturelle et un grognement de douleur s'échappa de sa gorge. L'humaine fut prise d'une quinte de toux et se tint au sol pour cracher une bile brûlante. Il n'y avait pas plus désagréable sensation. Oh elle ne parlait pas de la souffrance physique, elle savait lutter contre. Mais voilà qu'elle avait été mise à nue et désormais, elle n'avait plus aucun moyen de faire machine arrière.

Elle ramena ses genoux contre elle et appuya ses coudes dessus pour jouer avec ses doigts. Aucun regard n'était adressé à la latina, elle ne voulait pas que l'on voit cette honte y briller. "Tu sais ce que c'est de devoir apprendre à gérer un animal toute seule? C'est vraiment chiant,  à tel point que j'ai arrêté de le faire." Madison attrapa son sac pour prendre le paquet de cigarettes qui s'y trouvait et glissa une clope entre ses lèvres tremblantes. La première bouffée de nicotine fut un véritable soulagement. "On a fini par vivre à deux, la bête et moi." Elle cracha un nuage de fumée avant de la regarder.

"Puis t'es arrivée." Elle glissa sa langue sur ses lèvres. "Et tout est parti en vrille. Ton odeur, ta présence, ta chaleur. Ma panthère te réclame et réclame le pouvoir." Madison vint observer cette fumée avec une fascination étrange. "C'est pour ça que j'ai quitté la meute. C'est pas à cause de Peitho ou d'Alexis, mais je devenais folle... à cause de toi." Elle glissa une nouvelle fois la cigarette entre ses lèvres en se passant une main dans les cheveux.

La douleur de la panthère, Madison pouvait la sentir et la culpabilité commençait lentement à se faire une place dans son cœur. Elle n'avait pas le droit de faire ça, c'était contre nature. Cette seringue lui avait été donnée en cas d'urgence, si la bête devenait folle. Personne n'avait été mis en danger, la brunette avait seulement eu un acte de faiblesse. La première fois que ce produit avait été injecté dans ses veines, Madison avait crié à s'en casser la voix et avait pleuré toutes les larmes de son corps alors que l'animal rugissait face à leur douleur commune. Son père lui avait demandé de se taire, que tout allait bien se passer. Jamais il n'avait fait endurer pareil supplice à Dave, le petit dernier adoré et taré de la famille. Ils n'avaient pas la même mère, la brunette soupçonnait le paternel d'aimer tendrement celle qui avait mise au monde sa seconde progéniture.

Elle tira une nouvelle bouffée pour faire disparaître cette envie de vomir. Elle n'aurait pas dû boire autant, son estomac était en train de crier à l'incendie. Alors que sa langue venait une nouvelle fois humidifier ses lèvres, son esprit semblait se perdre dans un tout autre monde. Pourtant, les paroles de Soledad sonnait clair dans un coin de sa tête. Sa bouche vint se cacher contre son bras. Les circonstances. Horribles, tout bonnement horribles. Certes elle avait eu une enfance heureuse, mais si on venait à fouiller un peu plus profondément on tomberait sur quelques faits particulièrement douloureux. Se faire enfermer dans une cave les jours de pleines lunes, se prendre des décharges électriques sans réelles raisons, simplement pour calmer l'animal.

Madison n'en voulait pas à son père, elle était venue trop tôt dans sa vie et il venait de traverser une passe difficile de sa vie. Ils avaient fini par discuter et les excuses avaient été acceptées. Pour Dave. Pour cette famille de survivants. Il ne fallait pas rompre les liens de sang. "J'ai quitté la meute Soledad." Elle peinait quelque peu à prononcer correctement son prénom, mais elle s'en fichait bien désormais. Son regard rencontra brièvement le sien. "Tara m'en veut. Et je ferai mieux de rester éloigner d'Alexis quelques temps." La mort de sa cousine lui restait toujours en travers de la gorge. "Et Peitho, c'est Peitho. Je sais qu'elle est pas méchante, mais elle a tendance..." Elle se redressa, bomba le torse et prit un air hautain. "Tu vois ce que je veux dire?"

Le mégot finit par être jeté par terre et Madison, dans un grognement, réussit à se redresser. Elle s'étira de tout son long et fit quelques pas pour tester son équilibre. Il était rare de rester humaine aussi longtemps, elle avait peur d'avoir perdu l'habitude de marcher sans l'aide de sa partie animale. Heureusement pour elle, c'était comme le vélo, on n'oubliait pas.
Dans un soupir, elle se permit de regarder Soledad. "D'habitude quand on me demande si je veux venir, c'est pour admirer mon expérience au lit. Mais je ne pense pas qu'il s'agisse de ça." Elle se trouverait une proie demain, tant pis pour ce soir. "Allez lève-toi je crève d'envie d'un chocolat chaud."

L'air commençait lentement à s'humidifier et l'odeur de pluie montait délicieusement dans l'air. Madison n'avait jamais eu la chance d'en profiter à cause de sa nature féline qui refusait de se laisser toucher par la moindre goutte d'eau. Un autre jour. Elle resta perplexe un certain instant, son regard ne lâchant pas la latina alors que son coeur commençait à jouer les fous dans sa poitrine. Une partie d'elle crevait d'elle de placarder le nom de la belle sur son tableau des conquêtes, mais sa partie sage lui ordonnait de ne pas l'embarquer dans ce jeu destructeur. Alors elle se contenta seulement de lui offrir un sourire.

Elle était étonnée de voir à quelle vitesse Soledad pouvait oublier leurs différends pour jouer le rôle de la parfaite amie toujours là pour réconforter l'autre. Sauf qu'elles n'étaient pas amies et qu'elles ne prenaient jamais le temps de faire un tour. Elle souhaitait que sa panthère revienne, elle ne comprenait rien aux relations humaines. "Cool, mais je n'aime pas les marshmallows." Son attention se porta sur la voiture et elle ne put cacher son admiration. Certes sa passion était plutôt basée sur les motos, mais elle devait avouer que cette dernière n'était pas mal du tout. "Joli modèle, pourquoi est-ce que tu mets des gants? Tu as peur d'abîmer le volant?" Un rire moqueur s'échappa de ses lèvres.

Madison grimpa dans la bagnole et s'appuya contre la portière en regardant dehors, les premières gouttes commençaient à caresser doucement le sol. "Boh c'est très bien." Elle n'aimait pas toucher aux affaires des autres, cela créait un lien bien trop personnel qui lui donnait des crises de panique. Elle était paradoxale. Madison souhaitait qu'on lui porte une attention toute particulière, mais avait peur du contact humain, que son coeur soit touché par une caresse trop sensible.

Elle enregistra l’information dans un coin de son esprit et revint à la contemplation du parking. Son regard suivait les gouttes qui s’écrasaient sur le sol, une brève existence. Elle se rappelait des comédies romantiques qu’elle avait dû subir avec son ancienne petite-amie. Ces gens qui s’embrassaient sous une tempête, Madison avait toujours trouvé ça ridicule, mais elle ne cessait de se questionner dessus depuis quelques minutes déjà.  S’ils le faisaient, cela devait avoir un côté agréable non ?

Ses pensées s’échappèrent aussi vite qu’elles étaient venues quand le moteur se mit à rugir. Madison se laissa aller dans son siège, pensant que la route se ferait longue, mais il n’en fut pas ainsi. La conductrice s’échappa et la passagère se redressa pour la regarder faire. Elle n’eut pas le temps de prononcer le moindre mot qu’elle disparaissait déjà dans l’obscurité. Jurant entre ses dents, la brune quitta l’abri et glapit de surprise quand la morsure froide de la pluie transperça sa peau. Une partie d’elle regrettait la disparition de la panthère. Aucun moyen de se défendre ne lui était présenté. « Soledad ! » C’était quoi ce plan foireux ?

Ses pas se faisaient prudents et son regard balayait le moindre détail suspect. Elle n’était pas rassurée, adieu la confiance en soi qu’elle possédait auparavant. On aurait dit un enfant à la recherche d’une figure parentale. Elle était seule désormais, elle devait faire avec. L’obscurité manqua de la faire tomber, mais ses mains furent assez rapides pour attraper le bras de Soledad. Elle était glacée. Ses sourcils se froncèrent lorsqu’elle se rendit compte qu’elle faisait face à une in…

Elle tomba à la renverse, mais n’y fit pas attention. Madison se mit à reculer sur les mains avec un air affolé. Etait-ce la drogue qu’elle venait de prendre qui lui donnait pareille hallucination ? Elle ne rêvait pas ! Il s’agissait bien de… De sa tante ! La jeune femme se redressa comme elle put et s’empara du poignet de Soledad. « Faut foutre le camp ! Dépêche-toi ! » Elle n’avait jamais eu aussi peur de sa vie.

Elle avait l'impression de vivre un véritable cauchemar et qu'aucune partie d'elle ne souhaitait se réveiller. Elle n'avait pas pu imaginer aussi parfaitement son visage. Tara lui avait tout avoué, ce n'était pas possible. La brune se laissa porter par Soledad, son regard ne voulait pas se détacher de cette obscurité où elle était apparue. Comment était-ce possible? Abiageal avait-elle eu le même don que sa sœur aînée Fiona? Revivre dans un corps qui n'était pas le sien? Non, elle avait été brûlée et ses cendres répandues dans la ville; Tara n'avait pas pu lui mentir.

Lorsqu'elle regagna le siège passager, ses bras vinrent s'enrouler autour de son corps détrempé et son visage se pencha pour disparaître sous sa cascade chocolat qui gouttait. Un léger tremblement prit ses os, mais rien d'insurmontable. Elle était sous le choc tout simplement. Les images ne cessaient de danser devant ses yeux pétrifiés. Madison ne fit pas attention à la route, seulement aux tâches de lumière qui faisaient danser sa robe et sa peau où la chair de poule avait fait son apparition.

Ce fut lorsque le moteur finit par se taire qu'elle comprit la phrase de sa camarade. Lentement, elle se redressa, mais tourna son visage vers la vitre. Elle détestait confronter le regard d'une autre dans pareille situation. "Abiageal O'Callaghan, la tante de Tara." Sa voix tremblait encore alors qu'elle reniflait à cause du coup de froid qu'elle venait d'avoir. "Elle a été tuée par Tara y'a de ça cinq mois." Son corps fut pris de désagréables soubresauts et elle se dépêcha de quitter la voiture pour rejoindre un petit bosquet de fleurs pour y vomir ses tripes. Le choc ne la réussissait décidément pas.

Sa gorge lui brûlait atrocement et son corps battait horriblement à ses tempes. Madison découvrait la faiblesse de l'espèce humaine et ne souhaitait qu'une chose la faire disparaître. La faiblesse qu'elle ressentait en cet instant la rendait malade et elle était prête à vendre son âme pour entendre cette panthère rugir au fond de son être. Elle cracha de la bile avant que la présence de Soledad ne la fasse sursauter. Toute cette délicatesse la mettait mal à l'aise, jamais personne n'avait pris le temps de la ramasser à la petite cuillère. Son père était occupé ailleurs et ne possédait pas cette tendresse paternelle et elle refusait de se montrer faible face à Dave.

Madison grogna comme seule réponse et se laissa mener par la latina. Ses souvenirs l'encombraient trop pour qu'elle redevienne maîtresse de ses actions. Le visage d'Abiageal ne cessait de la hanter, tout comme sa voix. Alors que la brune ne s'était pas révélée à Tara à propos de leur lien de parenté, elle venait passer des après-midi chez elle. Les premiers mois avaient été fortement agréables. La tante s'était montrée aimante et ouverte à la conversation. Mais plus Tara progressait-elle dans ses pouvoirs que son caractère se détériorait, devenant cette marâtre que tout le monde détestait. Madison s'était particulièrement sentie mal pour elle, sa mort avait été un tragique incident.

La chaleur de la maison vint éloigner quelques horribles sombres pensées et elle se permit de glisser une main dans ses cheveux avant de pousser un long soupir. Le mal de ventre était passé, mais elle restait toute aussi chamboulée parce qu'elle avait vu. Elle se laissa manipuler sans la moindre résistance et vint se glisser au sol, son dos reposant contre un sofa. On aurait dit un fantôme. Son téléphone vibra dans sa poche et ses doigts s'en saisirent mollement. Son frère s'inquiétait de ne pas la voir revenir. Elle dut se battre pour répondre avec des mots corrects.

Son regard se leva vers Soledad et ses mains se resserrèrent sur la serviette qu'on venait de lui donner. "Un thé s'il te plaît." Sa voix était légèrement brisée, mais restait assurée et tout aussi séduisante. Alors que la latina s'en allait, Madison retira sa robe et se leva pour sécher son corps trempé. Qu'est-ce qu'elle en avait à faire de rester en sous-vêtements. Tout était parfaitement platonique dans cette pièce. Ses tatouages brillaient sous cette pellicule d'eau. "Désolée d'être un déchet ce soir, mais je pensais pas que ma soirée se terminerait comme ça."

La morsure du froid ne la dérangeait plus désormais, elle attendait seulement que Soledad la rejoigne. Elle était légèrement gênée de se trouver seule ainsi dans son salon. Son regard ne pouvait ignorer les photos de famille qui traînaient sur quelques murs et meubles. Elle était une étrangère qui avait pénétré dans un lieu sacré, le cocon familial. Son attention se porta sur la latina et un bref sourire inconscient étira ses lèvres. Il ne fallait pas nier qu'avec cette fille, Madison n'avait pas besoin de faire semblant.

"Pas de soucis, je t'attends." Ses doigts s'enroulèrent autour de sa tasse, elle ne toucha pas au sucre et au lait. Le goût naturel de la boisson lui suffisait amplement. Ce fut donc une jeune femme à moitié nue qui vint découvrir la pièce. Ses yeux s'attardaient parfois sur les visages figés des parents de la brunette ou sur elle. Elle ne pouvait nier que la beauté qu'elle dégageait était troublante. Sa panthère avait toujours refusé de lui révéler ce qu'elle avait fait dans la forêt, mais Madison craignait le pire. Ses pulsions pouvaient être incontrôlables.

La jeune femme n'avait jamais réussi à avoir de petites amies ou de petits amis par sa faute, parce que l'animal refusait de se montrer exclusif. Ce manque d'affection ne faisait qu'accentuer sa maladie, cet appétit qu'elle n'arrivait jamais à satisfaire. Elle entendit des bruits dans les escaliers et se tourna vers Soledad. Lentement, elle quitta les photos pour la rejoindre. Sa tasse fut posée pour qu'elle puisse se saisir du t-shirt. "Merci beaucoup."

Elle s'installa à ses côtés en remettant une mèche derrière son oreille pour ne pas avaler des cheveux. Ce n'était pas réellement agréable. Madison sourit et souffla sur la fumée douceâtre. "Eh si, c'est très rare dans les autres races, mais jamais personne n'a su dominer sa panthère. L'harmonie est primordiale." Elle s'enfonça dans le sofa en regardant le plafond. "Et toi? C'quoi ta race en soit? J'ai jamais eu de réelles informations."

Madison fixait son thé depuis un certain moment maintenant, elle ne savait même pas pourquoi elle avait demandé cette boisson. D’ordinaire, seul le café réussissait à plaire à ses papilles, le thé lui paraissait fade et sans intérêt pour une personne aussi exigeante qu’elle. Pourtant, c’était bien l’odeur de menthe qui chatouillait ses narines. Sa panthère aurait sûrement grogné face à un choix aussi stupide, mais absente comme elle était, il lui était impossible de protester davantage. Ses lèvres s’aventurent dans la tasse et s’y échappèrent rapidement, non merci, elle ne supportait pas ça. Elle regrettait le bon amer du café, mais vu l’heure, mieux valait qu’elle joue la carte raisonnable.

Son regard se tourna vers Soledad et ses sourcils volèrent vers son front quand elle vint lui raconter l’histoire de sa race. Elles venaient d’un monde parallèle, qu’est-ce que c’était que cette mascarade ? Le monde surnaturel était décidément trop mystérieux pour quelqu’un comme Madison, ne pouvait-on pas se contenter de créatures à poils et à griffes ? Tara n’en aurait jamais fini avec son grimoire, jamais la dernière page serait complétée avant sa mort. Elle avait intérêt de faire des gosses pour qui le terminent pour elle. Quoi que, aux dernières nouvelles, Alexis était une femme et ne possédait pas le système reproducteur adéquat. D’accord, Madison allait clairement trop loin ce soir, se taire était une bonne solution pour qu’elle ne termine pas choquée avant la fin de la soirée.

Son corps se figea et sa tasse manqua de s’effondrer sur le sol quand le sujet des pensées fut déposé sur le tapis. Un topic très sensible pour Madison qui détestait qu’on puisse comprendre ce qu’elle pensait. Une envie soudaine de s’éloigner de la latina lui prit, mais elle se fit violence pour ne rien afficher. Hélas, le reste des informations lui fit comprendre que Soledad pouvait comprendre son malaise. Elle se redressa et s’éloigna de quelques pas, se retenant une phrase cinglante. Elle ne l’autorisait pas à entrer dans sa tête pour faire ses petites recherches et même si son pouvoir était inconscient, elle ne lui pardonnerait pas la moindre bavure. Elle en avait plus que ras le bol de ne plus avoir le contrôle de sa vie. Entre sa panthère dominatrice et Soledad qui pouvait sentir ses sentiments, la vie ne lui avait jamais paru aussi sans intérêts.

A distance raisonnable, Madison s’autorisa à tourner son attention sur Soledad une nouvelle fois. La tasse de thé avait été posée sur une table quelconque. Ses bras s’étaient enroulés autour de sa taille dans une tentative de la protéger des mauvaises auras qui ne cessaient de l’attaquer. Son regard se tourna vers la fenêtre puis vers les reflets argentés de la lune. Peut-être avait-elle envie de partir ou de tout simplement balancer toute la rage qu’elle avait contenue en elle depuis trop d’années. « Tu veux dire que tu savais tout sur mes émotions sans me le dire ? Je me sens violée. » Elle avait décidément très envie de fuir. « Pourquoi est-ce que vous pouvez pas être des surnaturels normaux ? Merde quoi, j’ai l’impression de me faire surveiller à chaque minute de ma vie ! »